L'abbaye de Sélignac
Très bien cachée dans le vallon entre Simandre et Corveissiat un immense bâtiment avec ses dépendances et ses terres se révèle à la vue depuis la route principale.
Le val St Martin, rappelant le Saint Chrétien "St Martin" ancien soldat de Rome qui fut l'un des premiers prêtes vers le début du 4e siècle après Jésus Christ, était peut être un lieu de culte Celtes lié à l'eau.
A gauche l'entrée principale de cette superbe architecture, une source s'écoule dans un bac. En ce chaud jour d'été 2022, c'est une grâce que de se désaltérer de son frais breuvage.
La Grande Chartreuse, sous l'Ordre de Saint Bruno est en pleine expansion. Au XIVème siècle, pour gérer ses nombreuses abbayes, l'ordre est divisé en 13 provinces. La Révolution française, vida les chartreuses. En 1816 Dom Romuald MOISSONNIER reprend possession de la Grande Chartreuse.
La chartreuse de Sélignac, fille de la Grande Chartreuse, fut créée en 1202, d'après les sources de Dom Ambroise Marie BUILLAT dans son livre.
Pour garantir le désert, le village de Sélignac, mentionné dans le pouillé de Lyon du 13ème siècle et relevant de l'Abbé de saint-Claude a disparu. Cela est contesté par les Prieurs de Sélignac qui déclarent que le village a toujours été rattaché à l'Archevêque de Lyon. La première église du lieu serait en faite la correrie de l'abbaye.
La Maison du Val-Saint-Martin, 38ème de l'Ordre, fait partie de la province de Bourgogne comme toutes celles de l'Ain.
La chartreuse se nomme au départ Maison du Val-Saint-Martin, puis elle prit le nom de Sélignac, Sélignat, mais dans les signatures des Prieurs on trouve également Silinac, Séligna, Silinies, Séligney.... L'acte de fondation donne une orthographe de Siliniaci ou Siligniaci. Ce patronyme viendrait du Celtes : lieu boisé.
Les sires de COLIGNY possèdent les terres sur le Revermont, de Coligny à Pont d’Ain. Le 14 septembre 1201, Hugues II de COLIGNY, part pour la 4ème croisade. Comme beaucoup de seigneurs, il lègue tout ce qu’il possède sur la paroisse de Sélignac, à la Chartreuse de Seillon en vue de la fondation d’une nouvelle chartreuse, pour le repos de son âme et de celles de ses ancêtres. Le 8 octobre, il embarque à Venise et meurt en septembre 1205.
En 1210 le Duc de Bourgogne donne également des biens pour sa création, mais aussi des avantages "aux enfants" de Saint Bruno.
Le pape Honorius, la prend sous sa protection en 1225.
Le duc de Bourgogne, Jean lui cède le fief d'Avililiat en 1245.
La chartreuse est exonérée de droits de péage par le sire de BEAUJEU en 1277.
En 1437 la peste décime la chartreuse comme le reste de la région.
Les années de 1580 à 1586 sont difficiles pour les moines chartreux, les intempéries, la disette et la peste sévissent dans l'Ain.
La guerre entre la France et la Savoie fait rage en 1598, les soldats ravagent la région. Le Chapitre Général de l'Ordre constate l'extrême pauvreté suite aux malheurs de la guerre : dévastations et pillages par les soldats français.
En 1601 la chartreuse devient française comme tous les pays formant l'Ain. Henri IV par Lettres Patentes du 08 août 1600 prit la chartreuse et tous les biens de Sélignac sous sa protection et sauvegarde. Tous les privilèges, franchises, exemptions furent confirmés par Louis XIII en avril 1620.
En 1615 un incendie se déclare dans les greniers à foins.
La chartreuse est près des limites entre la France et la Franche-Comté alors espagnole. Elle subit encore les hostilités par les francs-comtois qui pillent et brûlent des maisons dans la métairies en 1636. D'après les archives de Sélignac (citées par Dom BRUILLAT) les famines et la peste décimaient l'armée franc-comtoise. Les soldats faisaient bouillir les parties charnues des autres soldats morts pour les manger et survivre.
La chartreuse était dominée par le château des seigneurs d'Arnans, propriété du baron César du SAIX. Celui ci prit fait et cause pour les espagnoles.
Le traité de Nimègue en 1678 donnant la Franche Comté à la France mit fin aux batailles environnantes. Le calme revint à la chartreuse.
En 1660 commencèrent les travaux pour reconstruire le monastère. Le 28 juin 1700, la visite d'un Révérend Père confirme la poursuite de la réfection. L'entrée située au sud est déplacée coté ouest pour plus de commodité conformément au plan dressé en 1653.
Un mémoire écrit par Dom Bruno de PINTEVILLE fait mention de 9 religieux en octobre 1662, un convers, 5 valets à gages et 3 sans gages. Ils possèdent 2 poulaines, 3 chevaux, 2 mulets et 1 poulain. Les greniers comportent 40 "couppes" de froment, 360 d'avoine, 50 de brayes. 7 tonneaux de vin pour les religieux et 3 autres composent la cave. Il y a du beurre et de l'huile, ni fromage, ni fruit qu'il fallait acheter. Le Prieur possède en argent effectif 2036 Livres plus 10 000 livres et encore 12136 livres. Les dus par divers particuliers s'élèvent à 1546 livres. Le monastère doit rétribuer les valets, les officiers de justice. La sacristie est très mal pourvue. Il y a beaucoup de passages de pauvres hères.. Il n'y a pas de procès onéreux en cours.
Le 11 avril 1675, le chapitre octroie, cède, donne et remet en albergeage perpétuel les terres, bois et hermitures sur la montagne appelé au Bioley à plusieurs habitants de Thiole.
le 12 novembre 1373 le fief du Roset, situé à Druillat, est cédé pour rembourser sa dette par M. de CHAURY seigneur de la Rivoire. En juin 1673 le monastère reçoit de M. GUILLOT, le Molard sur la paroisse d'Arromas, en paiement d'une dette non réglée. (Cette grange fut agrandie et réparée en 1775 par les chartreux).
Le moulin dépendant de la chartreuse est admodié en 1680 à Antoine BOZONNET charpentier de "Sontonnaz le Vignoble en Bugey".
En 1708, il se trouve 8 religieux, 7 domestiques à gages. Les chartreux possèdent 3 chevaux de selle, 4 de trait, 3 juments et 7 poulains. Les métairies se composent de 16 chevaux ou juments, 6 poulains, 56 boeufs, 42 vaches laitière, 6 taureaux et 30 génisses.
Les 7 et 8 janvier 1709, un froid glaciale s'abat sur le Bugey : " ... un vent du nord très froid a régné avec tant de violence que les blés, les vignes, les arbres, noyers, oliviers, pêchers, abricotiers, lauriers furent gelés. Le 9 il tomba beaucoup de neige.... le froid fut excessif jusqu'au 23 janvier et fit périr quantité d'animaux sauvages et domestiques... des malheureux moururent dans leur cabane..."
Les travaux de la chartreuse avancent vite malgré les calamités. Une grande partie du cloître est voutée et blanchie, pavée de belles pierres de taille. Le chapitre est entièrement reconstruit, orné de boiseries élégantes, les chambres des étrangers garnies d'un mobilier convenable, la façade de l'église entièrement terminée, l'intérieur a été rehaussé et les fenêtres agrandies. Les nouvelles stalles et le sanctuaire sont aussi sur le point d'être achevés.
Nouvelle visite des Révérends Pères Prieurs de l'Ordre en 1718. Le choeur est en place, le sanctuaire est revêtu de boiseries travaillées, un nouvel autel a été élevé. Un nouveau bâtiment se trouve dans les jardins pour recueillir et conserver les plantes potagères. La grange est entièrement réparée, la correrie aussi.
En 1715 le réfectoire est enfin achevé, la communauté en reprend l'usage matin et soir.
Le musée de la Grande Chartreuse possède une peinture du 18ème du monastère.
Perspective cavalière de la chartreuse de Sélignac, huile sur toile du peintre RAQUELLI (1784)
L'hiver 1788 - 1789 fut terrible. les demandes d'aides des curés des alentours affluent à la chartreuse pour aider les paroissiens en détresse.
L'assemblée Générale des trois ordres le 23 mars 1789 se tient à Bourg en Bresse. Le Révérend Anthelme BRUN ancien prieur de Sélignac et Dom Ignace DAVAU prieur de la chartreuse y participent. Dans un premier temps les chartreux, dépendant de Saint-Claude, ne furent pas inquiétés. Le frère du prieur du lieu n'est autre que l'Abbé Guillaume DAVAU précepteur des enfants de France auprès de Louis XVI. Il est donc tenu au courant régulièrement de l'évolution de la situation.
Le 02 février 1790, la proposition du protestant BARNAVE est adoptée. D'après lui, les Ordres religieux sont incompatibles avec les droits de l'homme. La loi ne reconnait pas les voeux monastiques quelque soit le sexe. Les Ordres et congrégations religieuses sont supprimés. Tous les individus dans les monastères pourront en sortir en se déclarant à la municipalité et ils recevront une pension.
Le 27 mai 1790, le maire de Simandre et des officiers municipaux se présentent à la chartreuse. Le Révérend Père DAVAU rassemble l'ensemble des officiers et religieux. Les officiers municipaux arrêtent et signent les livres comptables. Le montant des recettes est de 37903 Livres et les dépenses 33477 Livres. La bibliothèques est composée de 1095 volumes. Un inventaire de l'église, de la sacristie, des chambres, cuisine, caves, etc. est réalisé sur deux jours. Tous les moines signent pour rester dans leur Ordre fidèle à leurs voeux. Mais en octobre 1790, 4 demandent à rentrer dans leur foyer auprès de leur famille. Pour le autres ils resteront à Sélignac, où d'autres religieux furent transférés. Sur 7 chartreuses, seules les trois de Bresse furent conservées : Montmerle, Seillon et Sélignac ; Portes, Meyriat, Arvières et Pierre Chatel furent fermées. Sélignac avait en 1791, 16 Pères et 4 frères.
Le maire de Simandre apprend la fuite du roi le 24 juin 1791, et prend une délibération, car il croit avoir entendu que des armes et des munitions sont arrivées à Sélignac. Le résultat du déplacement et de la fouille n'est pas parvenu jusqu'à nous. Sur la liste des citoyens ayant refusés d'être dans la garde nationale de Simandre figurent tous les chartreux et quelques habitants du village.
Les archives de la chartreuse furent emmenées à Bourg en Bresse le 24 mars 1792 dans trois voitures attelées. Elles furent, pour la plus grande partie brulées.
La vente des biens de la chartreuse (prés, domaines vignes, moulin), comme biens nationaux, commença le 16 février 1791. Les bâtiments furent vendus en janvier 1793, le mobilier s'étala du 4 au 9 octobre 1792 et le restant en janvier 1793. M. GOYFFON achète la maison, les cours, jardins, terrasses, réservoirs, écuries, caves, pressoirs, le 16 janvier 1793 pour 57700 Livres.
Les chartreux quittèrent les lieux le 01 octobre 1792 après la messe du matin célébrée avec de nombreux voisins et habitants venus dire au revoir aux religieux.
L'autorité supérieure des chartreux leur remit un modus vivendi ou règle de conduite. Ils pouvaient changer d'habits et prendre celui du clergé séculier, mais en gardant une partie de l'ancien en dessous ; il pouvait manger gras mais en observant les jeûnes accoutumés ; certains offices étaient maintenus d'autres à discrétions, ils devaient observer au maximum le rite cartusien ; et surtout garder la foi, ne pas oublier leur voeux de chasteté et pauvreté, et revenir au premier signal de leur supérieur pour rejoindre leur solitude. Les chartreux partirent sur Bourg, apprenant les massacres des religieux à Paris.
Pendant ce temps les bâtiments de Sélignac sont envahis par les voleurs.
ROLLET-MARAT, agent national, doté de pouvoirs illimités par JAVOGUES, vint à l'ancienne chartreuse. Il détruisit à coup de marteau tout ce qui pouvait rappeler la foi : Saint Joseph, croix, etc., tout fut profané.
Sur ordre d'ALBITTE, les chartreux officiant sur Bourg en Bresse et environ, n'ayant pas prêtés serment sont arrêtés et jetés en prison.
La chartreuse change de propriétaire M. GOYFFON la vend à César PERRIER de la Balme. Il transforme l'église et la sacristie en écuries et grenier à foin, écroule les cellules et poursuit les démolitions du précédents occupant. Le choeur rejoint la paroisse Saint Désiré à Lons le Saulnier. M. de CORCELLES, neveu de M. PERRIER, hérita de ses biens, donc de Sélignac. Il échangea ce bien avec les moulins que M. VINCENT de LORMET possédait à Bourg en Bresse.
La voute de l'église s'effondra en entier, la façade s'écroula. A la place de l'église et du cloitre le propriétaire fit un jardin anglais. A dessous de la correrie, il construisit un nouveau moulin et y plaça une papeterie.
Il vendit Sélignac en 1832 à M. DUMAS, qui mourut peu de temps plus tard.
Les héritiers revendirent la propriété en 1844 à M. Louis RAYMOND de FINANCE.
Le 24 février 1859 M. VINCENT de LORMET acquit de nouveau la chartreuse, qu'il remit en vente 5 ans plus tard.
Le curé de Simandre apprenant la nouvelle, écrivit à la Grande Chartreuse pour informer le Révérend Père Général. Le Procureur de la Grande Chartreuse vint visiter les lieux en 1866 et s'empressa de se rendre chez le notaire fondé de pouvoir de M. de LORMET. Ce dernier accepta l'offre, heureux de voir sa propriété retourner à ses anciens propriétaires. L'achat eut lieu sur place le 12 avril 1866.
Les chartreux retrouvaient Sélignac le 08 décembre 1866 en installant deux religieux, puis trois. Les travaux de reconstruction commencèrent. En 1869 L'église et le cloître étaient refait à neuf et le 19 décembre la grosse cloche, prénommée Marie, fut bénie.
le 05 juin 1870 12 religieux et 11 frères habitaient les lieux.
Le 26 août 1870 l'église est consacrée sous le vocable de Notre Dame de la Compassion et de Saint Martin. Le maitre autel arriva de la cathédrale de Saint Claude. Deux copies de RUBENS ornèrent les murs du sanctuaire. Les chapelles furent également ornées.
En 1878 commencèrent les travaux de la démolition des bâtiments pour construire la nouvelle église.
Dom BUILLAT Amboise nous en donne une image à leur retour dans un ouvrage en 1883 : " ... Quand au monastère, ils n'en retrouvaient que la partie la moins intéressante. L'église, le cloître et tous les autres lieux réguliers avaient entièrement disparu sous le marteau des démolisseurs ; seul le bâtiment des étrangers, converti en château, subsistait encore avec ses dépendances, sans laisser soupçonner, dans son isolement, qu'elle était son origine. " Le père chartreux à son retour reçu la donation des manuscrits et bien d'autres choses, que le notaire d'Arnans avait gardé chez lui. Sa fille, la donatrice fit don également des chapelets, des peintures, sculptures des ouvrages cartusiens, le service complet en étain du réfectoire, le prie Dieu du dernier Prieur....
En 1901 la propriété est vendue, les moines s'exilent en Suisse. C'est un Lyonnais, M. BOUILLAT qui achète les biens. Il fait des travaux et ouvre un grand hôtel, qui ferma en 1912...
Remis en vente, Mme TARDY achète la propriété et, par une grande bonté, la rend aux chartreux de l'Ordre qui s'y réinstallent en 1928.
De 1202 à 1790, puis de 1867 à 2009 des moines vécurent à Sélignac.
Depuis ce sont des laïcs de la Communauté du Chemin Neuf qui gèrent les bâtiments.
La chartreuse ouvrait grandes ses portes pour accueillir les pauvres, donnant morceaux de pain, vêtements, aides matériels, etc. Les livres de comptes en font foi. Les membres des multiples congrégations religieuses y passaient également : les carmes et capucins de Saint Claude, les Trinitaires de Monaco, des frères de Saint Camille de Lellis, les hospitaliers du Grand Saint Bernard, etc... Mais aussi les Clarisses de Bellegarde, de Salins, d'Annecy, les pèlerins de saint Jacques de Compostelle....
Les religieux achètent des tissus pour confectionner des vêtement pour les pauvres, donnent des grains pour la semence, payent le médecin, de quoi réparer une maison, payent un apprentissage... Des dons sont octroyés aussi aux autres chartreuses.
La chartreuse a toujours possédé toutes justices sur ses terres : haute, moyenne et basse. La preuve est contenu dans la bulle du Pape Honorius en l'année 1225 : "... prend cette nouvelle chartreuse sous sa protection et défend de saisir aucun criminel dans les limites de sa juridiction".
Plusieurs procès eurent lieu sur les limites de la dite juridiction, dont un en 1666 avec Messire PERRACHON marquis de Treffort ; mais aussi une transaction avec l'abbé de Saint-Claude...
Début du 18ème siècle le territoire des chartreux s'étend sur d'Huys, Thiole, Simandre, Banchin, Petit-Corent, Corent-la-Ville,Racouse, l'Avillat, Arnans (en 1648 la chatreuse avait acheté la seigneurie d'Arnans à César du SAIX), Cuvergniat, le Roset. Pour cela la chartreuse rémunérait un juge châtelain, un procureur fiscal, un curial ou greffier. Ceux ci ne vivaient pas forcément sur place. La justice était rendue sous le tilleul d'Arnans, sur lequel était placardé l'avis 15 jours avant.
Pour garder les moissons, arbres fruitiers, etc, l'abbaye possédait des gardes des eaux et forets, chasse, pêche.. Ils parcouraient les terres et surveillaient afin d'éviter, vols, destructions, etc. Ils portaient la bandouillère : une large étoffe, bordée de la livrée du seigneur et ses armes afin qu'ils soient reconnus de tous. Cette dernière était remplacée par une bandouillère en cuir pour Sélignac.
La congrégation de Sélignac porte plusieurs armoiries.
La première représentation est de gueules à l'aigle d'argent becqué, membré et couronné d'azur, qui est en faite la famille de COLIGNY ;
La deuxième est d'azur semé de fleurs de lis d'or, qui est celui de France (ancien) ;
La troisième est d'or à un saint Martin de gueules.
Il existe un film représentant la chartreuse avec ses moines. Ciné Art Loisir a aussi photographié les chartreux à Sélignac avant leur départ, je vous en fait donc profiter.
Les photos ci dessous ne sont pas toute de moi car il m'a été interdit de rentrer prendre des photos.
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